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Sud Ouest |
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La volonté de Bellefroid : arracher au temps qui passe un peu de son secret. |
GERARD GUEGAN, Sud Ouest, (à propos du livre : le Voleur du temps ) |
«Nos plaisirs et les siens se confondant, nous nous annexons l'ensemble de ce qu'il écrit.»
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Valéry Larbaud, qui inventa - qui en doute ? - le roman moderne, faisait dire à son double, Barnabooth, dans son « Journal intime » : « Le danger, avec nous autres hommes, c'est que, lorsque nous croyons analyser notre caractère, nous créons en réalité de toutes pièces un personnage de roman, auquel nous ne donnons pas même nos véritables inclinations. Nous lui choisissons pour nom le pronom singulier de la première personne, et nous croyons à son existence aussi fermement qu'à la nôtre propre. C'est ainsi que les prétendus romans de Richardson sont, en réalité, des confessions déguisées, tandis que « les Confessions » de Rousseau sont un roman déguisé. » Cela date de 1913, un bail, et pourtant qu'y retrancher, sinon que la littérature renonçant à être elle-même, Rousseau et Richardson ne font plus qu'une seule et même personne ? Dans le meilleur des cas, bien sûr. Dans le cas de Jacques Bellefroid par exemple. J'avoue n'avoir pas lu ses précédents « romans » , en sorte que j'ai abordé « le Voleur du temps » sans trop penser, à cause du titre peut-être qui constitue sa seule erreur, m'y attarder. De fait, je l'ai lu deux fois. La première, comme un explorateur comblé, et la deuxième, comme un horloger jaloux qui cherche le comment et le pourquoi du mécanisme. L'explorateur, d'abord. Il s'agit d'un fragment d'autobiographie, évoquant l'apprentissage du narrateur, depuis le collège de jésuites jusqu'au bon à tirer. C'est, en règle générale, ce que j'apprécie le moins dans les « souvenirs » d'écrivain. L'attendrissement sur soi-même (ses premières crottes de nez) m'agace toujours, et il n'est pas rare que je saute les pages du début, courant aux années où il se passe enfin quelque chose. Le génie de Bellefroid, auquel il a raison de croire, est d'arriver à présenter chaque moment supposé par lui fort comme réellement un moment fort. Si bien que nos plaisirs et les siens se confondant, nous nous annexons l'ensemble de ce qu'il écrit. Que ce soit sur le train « longue roulotte mouvante emplie d'êtres instables » ou sur le parloir du collège qui « formait une séparation étanche où semblaient se perdre dans le vide de ses hauts murs les propos qui ne devaient pas communiquer entre eux » . En vérité , tout cela pourrait ne traduire qu'un savoir-faire remarquable, dont nous crevons par ailleurs, s'il n'y avait, sous-jacent au récit, l'affirmation d'une volonté, celle d'arracher au temps qui passe un peu de son secret. D'où, à l'instar du prospectus qui accompagne le remède, et que nous dévorons avec l'espoir d'être déjà sauvés, la dernière partie du livre, dans laquelle Jacques Bellefroid pointe les impostures, et s'engage, lui, à ne point faillir. On peut d'ailleurs la lire indifféremment de ce qui précède. C'est comme du gris sur du bleu. Comme de la vie, en prime.
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