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25 Mai 2006
Une explosion à Strasbourg : Joseph Steib
 


Il se passe un évènement si bouleversant à Strasbourg, qu'il devrait être impossible de le taire. Une exposition. Ce n'est pas du tout que la ville de Strasbourg soit incapable d'organiser une exposition, bien au contraire, c'est qu'il s'agit cette fois d'un accrochage de tableaux vraiment hallucinants. Cela s'appelle le « Salon des rêves » et cela se tient au Musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg. Là, Fabrice Hergott, directeur des Musées, et Emmanuel Guigon, conservateur en chef, sont parvenus à présenter au public l'œuvre d'un artiste, Joseph Steib, né à Mulhouse en 1898, mort dans la même ville en 1966. On peut écrire : mort inconnu. Cela serait une manière de rendre hommage à son génie en même temps qu'à son héroïsme.

De 1939 à 1945, de la « drôle de guerre » à la libération, Steib, formé à l'école des miniaturistes, a peint une série de tableaux qui représentent, toile par toile, les effets d'une guerre qu'il ne trouvait pas drôle, et la charge la plus violente jamais peinte contre les horreurs du nazisme. Il a fait cela au péril de sa vie et de celle de sa femme. Une seule oeuvre découverte, et ils étaient brûlés vifs, enveloppés dans les toiles. Il suffit de regarder ce qu'il a osé peindre pour comprendre aussitôt qu'il n'aurait pu en aller autrement. Or, Steib savait cela. Lui, petit employé de mairie, peintre presque amateur, mais à la façon du douanier Rousseau, il n'a pas reculé devant le danger de mort. Peintre ou héros ? Héros sans aucun des traits attribués à cette espèce : il était quelconque. Petit bourgeois, rangé, il passait pour un esprit faible, un homme maladif, une sorte d'individu sans importance. Alors qu'il peignait tranquillement Hitler et les généraux nazis, tels qu'en eux-mêmes, effrayants et ridicules : des grotesques. Peut-être la ruse suprême de Steib aura-t-elle été de se faire passer pour un insignifiant imbécile. Il avait dû deviner, signe d'intelligence très subtile, que c'était encore le meilleur moyen de se rendre invisible et, comme c'était pour lui une question de vie ou de mort que de ne pas se faire remarquer, il aura maîtrisé jusqu'au bout la partie redoutable qu'il a gagné. A titre posthume, évidemment, car personne ne semble avoir vraiment pris conscience de son importance capitale pour l'histoire de ce satanique vingtième siècle, jusqu'à ce que le Musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg organise aujourd'hui cette exposition exceptionnelle. Justice enfin rendue à Joseph Steib. Justice tardive, mais, après tout, il n'est jamais trop tard pour bien faire.


Jacques Bellefroid

 

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