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La Liberté - Alain Favarger
Jacques Bellefroid cisèle de petite merveilles
ROMAN FRANCAIS - Né à Lille en 1936, il est monté à Paris, a côtoyé Jean Paulhan et flirté avec le succès, mais est inconnu du grand public. Or voilà une voix rare et authentique.
 
 

 

« Contre l'hypocrisie et le désert de l'amour, Fille de Joie apparaît comme un roman de feu et d'inquiétude, un appel à la beauté du monde, une quête de vérité et de ces instants entre les êtres où le bonheur devient possible.»


Lire Jacques Bellefroid ne laisse pas indifférent. L'homme publie peu, se ménage des silences de dix, voire vingt années. Le temps qui lui paraît nécessaire pour porter une oeuvre et la mener à bien. De plus, ses livres sortent chez un petit éditeur, ce qui lui enlève quasiment d'emblée toute chance de figurer dans la course au jackpot des prix de l'automne. Et pourtant Fille de Joie, son dernier roman, une brique de près de 500 pages, est une vraie réussite.
De facture en apparence très classique, où affleurent des zestes de baroquisme et des plages de roman philosophique, Fille de Joie cerne des destins parallèles. La scène est à Paris, non loin de Notre-Dame et du quai de Montebello, au voisinage de la place Maubert. Dans un premier chapitre assez époustouflant, l'auteur évoque la vie feutrée d'Adélaïde Verbecq, la veuve d'un peintre célèbre, qui promène sa solitude à longueur de journée en son hôtel particulier. Dialoguant sans fin avec l'absent, trompant les visites de la dame importune, à savoir la mort, qui semble bien empressée à la solliciter, elle s'enivre de nostalgie. Pardonnant au défunt ses belles maîtresses, mais vengeresse envers l'alcool qui l'a perdu, elle n'en finit plus de contempler les tableaux qui la montrent, elle la fidèle, au zénith de sa beauté foudroyante.

PERSONNAGES MYSTERIEUX

Le récit bifurque ensuite vers une pléiade de personnages étranges et mystérieux. Il y a le curieux ménage à trois que forment Julie, son mari Robert (un peintre très doué en copie) et Léopold, l'amant de madame. Un ancien soixante-huitard, disciple d'Althusser, un séducteur au verbe redoutable. Or ce trio est un ramassis d'escrocs qui, à force de patience et d'esbroufe, est parvenu à gruger un antiquaire de la place en lui vendant un faux tableau d'Arthur Verbecq. Curieuse figure aussi que ce Paul-Auguste Hardouin de la Taille, le dindon de la farce, insomniaque invétéré et homosexuel frustré.
Puis il y a Ludovic, le jeune intellectuel qui hante les librairies de Saint-Germain et qui un jour s'éprend à la seule écoute de son fou rire d'une belle inconnue. Et une fois de plus se joue le mythe surréaliste de la rencontre fatale et de l'amour réinventé. Ou comment le rire se métamorphose en philtre aux pouvoirs irrésistibles. Mais au charme de Christine la comédienne s'oppose son envers, c'est à dire les foudres de la terrible Madame Edouarde, la concierge et cerbère de l'immeuble où vit une partie de ce petit monde. Et l'on serait incomplet sans évoquer Camille, l'étudiant qui vit au sommet de cette maison qui n'est pas sans rappeler l'antre parisien exploré naguère par Georges Perec. Camille que Christine fait aussi fantasmer, mais qui se contenterait de noyer sa vertu dans les bras de l'imposante et capiteuse propriétaire d'un restaurant du quartier.

LA MAGIE D'UN STYLE

En une suite de chapitres qui épousent, un peu à la manière d'un Dos Passos, les vies parallèles et parfois entrecroisées des différents protagonistes, l'auteur restitue une forme de comédie humaine. Au-delà de l'argument principal du livre, les intrigues du trio de faussaires, s'impose la magie d'un style. Car si l'on est pris par ce livre au point de ne plus le lâcher, c'est bien parce que l'auteur est un ciseleur de mots, un créateur d'atmosphère, capable de troubler le lecteur. Pour ce vrai plaisir de la littérature qui vous plonge dans le vertige d'une langue chatoyante.

Paris scintille dans ces pages comme un astre noir, à la fois promesse de volupté et abîme de perdition. Miroir de toutes les ivresses où butent tant de rêves, pris au piège des faux-semblants et des milles artifices de la vie sociale. Une ironie constante, un brin voltairienne, imprègne le récit, sorte de contrepoint aux modes et aux tyrannies du moment. D'où quelques charges acérées contre les fausses valeurs d'un monde dominé par l'argent, le sexe et la violence. Contre l'hypocrisie et le désert de l'amour, Fille de Joie apparaît comme un roman de feu et d'inquiétude, un appel à la beauté du monde, une quête de vérité et de ces instants entre les êtres où le bonheur devient possible.

Alain Favarger,

Jacques Bellefroid, Fille de Joie, Ed. de la Différence 495 pp.

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