Couronné par une étrange fête, ce livre - d'un bout à l'autre - fait danser les mots et les dialogues. Jacques Bellefroid ne raconte, certes, que l'organisation et le déroulement d'une soirée offerte par deux jeunes gens - Katia et Franck - à l'occasion de leur prochain départ. Mais il mène aussi, avec humour, et avec l'intense poésie de Paris, un divertissement si philosophique qu'on y retrouve un charme romanesque fort rare chez nous depuis les années 30.
Nulle nostalgie, cependant. Voyage de noces ne louche pas du côté Vian ni du côté Aragon. On y entend cependant un défi, une insatisfaction qui savent - sous un dehors éphémère -faire entendre la gravité. Alors, certes, résumons : Katia et Franck ne vivent agréablement ensemble qu'en se sachant privés d'avenir commun à long terme. Le jour où leur appartement et leur vie touchent à la bourgeoise vitesse de croisière, ils décident de tout vendre. Ils partiront en voyage, avec l'argent en poche et le baluchon pour tenter de conjurer l'avance du temps, de l'âge et l'inexorable obligation du choix, surtout.
Avant ce départ, ils invitent leurs amis à fêter cet ambigu voyage de (non) noces dans l'appartement vide. Belle occasion pour Jacques Bellefroid d'un kaléidoscope de personnages dans le plus exact ton des 30-40 ans d'aujourd’hui, comme une sorte de carnaval du mal d'être et d'adolescences désespérément prolongées à renfort de vulgate psy et d'honnête culture intellectuelle.
La magie dans tout cela, c'est bien sûr le style - la « patte », voudrait-on dire, où théologie et poésie pointent du nez. Bellefroid n'oublie jamais qu'il s'agit de mots, de musique et de roman. « La fête, écrit-il, est une nuit que le jour traverse de part en part. Voile blanche du temps qui s'ouvre, elle ramasse les souffles, l'énergie, l’haleine, la respiration, la colère et les sourires du vent démoniaque ou divin qui se lève dans le cœur de ceux qui veillent »
Le lecteur s'éclipse donc, en compagnie de Franck et Katia, tandis que phraseurs, danseurs et charmeurs tentent de rester jeunes quelques années de plus. Il n'y a plus que Paris, la gare et l'aventure - pourquoi pas? -encore possible. .
J.-M. de MONTREMY
Certains personnages de Voyage de noces figuraient déjà dans les Etoiles Filantes du même auteur (Ed. de la Différence, 1984). On lit toutefois sans difficulté le second livre en ignorant le contenu du premier.
Article original au format PDF
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