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Télérama - Critique de livre - Voyage de noces
L'AMOUR ÇA DÉMÉNAGE
Michèle Gazier, (à propos de Voyage de Noces )
 

 

« Féroce et talentueux, Jacques Bellefroid qui poursuit son cycle romanesque initié avec Les Etoiles filantes, avance en littérature avec cette rigueur, cette circonspection, cette classe des gens qui construisent une œuvre. Il trace avec finesse des portraits dont on ne sait plus vraiment s'ils sont faits d'un trait de plume ou de scalpel. »

 

J'ai l'honneur de ne pas te demander demain… L'amour béton palit vite entre quatre murs. Confit dans le douillet, il perd son goût nature. Au diable routine et vie mesquine. Pour ménager l'amour, déménagez…

    Un appartement d'amoureux, quelques mètres carrés payés à prix d'or ou de briques, c'est des mois de recherches, des heures d'attente, puis des semaines de peinture et d'ingéniosité. Cest la lente élaboration d'un lieu que l'on se hâte d'aménager à grands coups de catalogue Habitat, de tournées de brocantes ou de salles des ventes. Et puis, ouf, c'est fini, il ne reste plus qu'à vivre, à y vivre.

    Ça, c'est l'aventure banale de milliers de couples trop heureux de poser ensemble le bagage de leur amour entre quatre murs de béton. Et puis il y a quelques fous, quelques oiseaux volages épris de liberté, et qui pensent que même en ouvrant grand les fenêtres, l'air du large qui s'engouffre finit toujours par sentir le confiné.

    Katia et Franck sont de ceux-là. Ils s'aiment d'amour non raisonnable. Au lendemain d'une installation banale et réussie dans un chez eux bonbonnière, ils décident soudain de rompre les amarres plutôt que de pendre la crémaillère. Ils partiront, laissant derrière eux ces petites choses d'une vie qu'ils ne veulent pas pot au feu. Ils ont ce talent des gens qui acceptent de devenir un jour vieux sans jamais se résigner à être tristement adultes.

    Mais, pour voyager, partir en amoureux, déjouer les pièges de l'habitude, il faut des sous. Qu'à cela ne tienne, ils en trouveront. Un joli appartement bien garni peut se vider encore plus vite qu'il ne s'est rempli. Et au diable l'avarice et les souvenirs de famille. Il faudra tout vendre, solder, bazarder, caser. Le dépouillement est en soi une fête, et il n'est de meilleure jouissance que celle, frénétique, de faire table rase. Katia et Franck bradent à tour de bras.

    Et, quand il ne leur reste plus que quatre murs, deux coeurs et deux corps, ils organisent une immense fête pour les amis. Et quels amis ! Vous les connaissez tous ces gens, vous les avez un jour croisés. Héros parfaits d'une comédie sociale qu'ils alimentent, ils jouent leur personnage avec une certaine candeur, jusqu'à l'absurde. L'écrivain, le peintre, le psychanalyste, le traducteur, la danseuse, la publicitaire, tous fidèles à leur image se donnent la réplique.

    Au feu de joie de cette fête folle, ils sont tout ce que Katia et Franck veulent et vont quitter: d'aimables personnes confites en société et habitudes.
    Et ils sont drôles, vrais, ridicules, bavards, snobs, touchants, tous ces jeunes gens à la tête bien pleine. Ils sont aussi fats et paumés que les héros de Woody Allen.

   Féroce et talentueux, Jacques Bellefroid qui poursuit discrètement son cycle romanesque initié avec Les Étoiles filantes (La Différence). Il avance en littérature avec cette rigueur, cette circonspection, cette classe des gens qui construisent une œuvre. Il trace avec finessse des portraits dont on ne sait plus vraiment s'ils sont faits d'un trait de plume ou de scalpel.
    Mais lorsqu'il nous parle de Katia et de Franck, il cesse d'être un Woody Allen ou un Bretecher littéraire. Il retrouve cette liberté de ton, cette insolence, cette légèreté du Godard des années Karina.

    Il y a du Pierrot le fou dans ce Voyage de noces. Il y a cette même folie, ce même rêve d'absolu. Katia est moins énigmatique que la Marianne Renoir de Pierrot. Franck est plus sage que Pierrot - Ferdinand. Mais comme les héros de Godard, ceux de Jacques Bellefroid ont choisi d'exister plutôt que d'être, de partir plutôt que de croupir.

    Ils ont cette violence joyeuse, cette superbe, cette beauté de ceux qui font fleurir dans leur vie la part du rêve.

Michèle Gazier - Télérama


 


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