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Le quotidien de Paris - Linda LE |
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Jacques Bellefroid : hors la loi |
Ses romans empruntent toujours deux voies : celle de la fuite ou celle du crime. Dans « La grande porte est ouverte à deux battants », dans « les Etoiles filantes » et dans « Voyage de noces », tout se déroule dans l'espace restreint d'une maison ou d'un appartement qu'on est sur le point de quitter ou d'investir. Bellefroid confie qu'il pratique volontiers des cures d'éloignement, qu'il aime les voyages en train quand, en regardant défiler le paysage, il a l'impression que «le temps brûle l'espace». Dans « Le réel est un crime parfait, monsieur Black », Bellefroid se transforme en criminel, il n'a qu'une obsession : faire disparaître le réel. Aussi, ses romans policiers sont avant tout des manifestes, des cris de révolte contre le réel qui pèse et contre le temps qui passe. Ils font l'éloge de la velléité (cette « éternité portative »), des après-midi paresseux et de la folie juvénile. La bande à Bellefroid est composée de ses insouciants joyeux et pleins de fantaisie, étoiles filantes pour qui « mourir semble dire ce que le mot vivre contient de plus tendre ». Dans son premier livre « La grande porte est ouverte à deux battants », Bellefroid notait : « II n'y a pas lieu de tout dire». Cette devise l'a accompagné depuis un quart de siècle ; il a poursuivi son errance dans un paysage romanesque qui s'est brusquement figé, il a continué à entretenir le mystère, non autour de sa personne, mais autour de ses livres. Enfant, Bellefroid voulait inventer un poignard doté d'un mécanisme simple permettant de faire pivoter le manche de manière à le séparer de sa lame. Ainsi rêvait-il l'arme du crime parfait. Aujourd'hui il rêve d'un livre qui serait détaché de son auteur comme la lame de son manche. S'il pouvait faire du livre une énigme absolue, alors, il n'y aurait plus de différence entre celui-ci et le crime parfait. Le dernier roman de Bellefroid « Peines capitales », est fait de brefs chapitres bouffons où des personnages se livrent à des jeux de substitution et truquent leur identité avec la désinvolture méticuleuse des arnaqueurs. « Peines capitales » s'ouvrent sur une scène digne d'Orson Welles. Dans une clinique du bout du monde, le président Niebel se réveille après une opération qui dura sept heures ; mais au lieu du nostalgique « Rosebud », c'est un « Au poteau, jeune fille » qui retentit dans la nuit. Le mot d'ordre est lancé. Le roman sera un conte de fées criminel, commençant à minuit et s'achevant à sept heures du matin dans une clinique spécialisée dans l'extraction chirurgicale du péché originel « et rien ne permet de savoir si c'est Dieu ou si c'est le diable qui mène la danse ». Le président Schreber tend la main à Lewis Carroll. Bellefroid prend des airs de bourreau affable, mais, entre deux éclats de rire, il distille une inquiétude, fait défiler une ribambelle de fantômes, déverse une flopée de fausses pistes, écrit une anthologie de suicides, dissèque le cadavre de l'éternité et détraque la machine romanesque. Ils ne sont pas encore très nombreux, ceux qui se penchent sur l'énigme Bellefroid, mais la littérature manquant de fantaisistes, il faudra passer tôt ou tard dans la barque de ce romancier à la silhouette dédoublée, qui fait le va-et-vient entré le réel et l'irréel. Ce jour-là, les exilés se découvriront une patrie, «ils ne s'occuperont que de déserter, tâche frivole qui requiert quand même une vertu plus sérieuse : ils rêvent ». Linda LE
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