Un charme fou et ce qui s'appelle peut-être la grâce : Jacques Bellefroid sait à merveille l'art subtil de musarder dans les marges des histoires qu'il raconte, digresser, faire des pointes sans paraître attendre ce moment incomparable où tout s'accorde dans la transparence, le miracle qui naît de petits riens, d'une vraie innocence et de beaucoup de brillants bavardages.
Il faut lire, raconté d'un cœur léger, avec une sorte d'allégresse grave, Les étoiles filantes petit chef-d'œuvre délicieux, émerveillé, d'un auteur qui paraît si jeune et ne l'est pas tant que cela, attentif à l'éphémère et à la fragilité des choses, à l'instant ébloui où le bonheur parait aller de soi.
On retrouve dans Voyage de noces, outre les protagonistes-des Etoiles filantes, quelque temps après, ce même ton, ce jaillissement, cet élan, ce plaisir de la conversation qui font de Jacques Bellefroid un héritier très direct de Diderot, de Marivaux ; mais la voix s'est faite plus nostalgique, voire un peu plus sombre, même s'il reste enclos dans les premières pages comme un écho, un souvenir de la gaité d'antan, assourdi ou voilé.
Voyage de noces commence là où finissait Les Étoiles Filantes : Franck et Katia, après le plaisir fou et fougueux de la découverte, s'installent dans les habitudes. Ils vivent ensemble, dans un appartement meublé de fauteuils, et de lits anciens, de commodes, d'étagères, de chaînes hi-fi, et commencent peut-être à s'ennuyer. Katia a beau changer de place les meubles, à essayer toutes sortes de permutations : il faut sa rendre à l'évidence la vie est devenue terriblement quotidienne. Katia et Franck décident alors de rompre avec tout ce qui fut si agréable et qui ne l'est plus. Au lieu de se déprendre l'un de l'autre et de se quitter, ils vont partir ensemble. Larguer les amarres et tout vendre
L'appartement, vidé de tout ce qui l'encombrait, après cela, peut d'autant plus se remplir : d'amis, de relations, de connaissances et de cette faune insupportable et charmante de doux dingues, de songe-creux, de fantaisistes, gens de nuit hors norme flottant entre deux univers incertains. Franck et Katia vont organiser une fête. Encore un instant de bonheur? La dernière brûlure plutôt.
« La fête est un incendie allumé par ceux qui la donnent et où brûlent avec éclat le plus grand nombre possible de choses », est-il dit dans la présentation du livre et c'est ainsi que naît, se développe et meurt cette nuit pleine d'étoiles filantes et de météores, toute gonflée d'écume légère et de bulles qui viennent éclore, irisées, impalpables, à la surface des choses, nuit folle où chacun se donna en spectacle, fait trois petits tours et puis s'en va. Franck et Katia n'attendront pas la venue un peu lugubre du matin, ils s'en iront payer leur billet de train avec un chèque sans provision et attendront dans un hôtel de luxe un départ tout aussi rêvé, peut-être, que le reste-Je ne sais s'il faut citer là Chesterton lorsqu'il dit que les anges volent parce qu'ils se prennent à la légère mais ce qui est évident c'est que la légèreté, dans ce livre, participe de cette grâce-là, qui est lumineuse. « II faut que cela soit si gai que l'on ait envie de fondre en larmes », disait Bruno Walter à ses musiciens lorsqu'il dirigeait L'Enlèvement au sérail. C'est ce qu'on a envie de dire de ce beau livre, tendre comme est la nuit. Le livre d'un écrivain magnifique qui sait si bien le secret bouleversant d'enchanter.
Michel NURIDSANY.
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